[EDIT 23/06/08: mon texte ne me plaît pas vraiment. Il comprend des erreurs et approximations. Et la première a sans doute été de vouloir commenter trop vite un ouvrage trop riche. Je le laisse tout de même, des fois qu'il amène qui que ce soit à lire le texte en question.] En attendant la fin de ce livre. J'avoue y mettre un peu de temps vu que c'est pour moi une lecture riche et que la forme quasi dialogique m'amène à relire régulièrement les mêmes textes, à faire beaucoup de retours en arrière. Du coup, je n'ai toujours pas entamé la réponse de VD a ses contradicteurs. En tout cas, ils devraient faire plus de livre sous ce format là (un article, une série de contradicteurs, une réponse) car cela enrichit vraiment le texte initial, facilite la compréhension et ouvre bien des portes.
Mais je vais tenter, provisoirement, de terminer le point esquissé, quitte à y revenir plus tard. Notamment parce que j'aimerai écrire quelques billets plus "concrets" et que je me sens obligé de finir ce que j'ai commencé.
Nous en étions donc à la troisième forme de justification que le recteur nazi peut produire. J'avoue tout de suite que j'ai du mal à voir la cohérence dans la typologie de VD. En somme, après avoir invalidé les deux formes de justifications traîtées dans le précédent billet, Descombes nous dit qu'un nazi raisonneur, et c'est là probablement "le raisonnement même du militant totalitaire" objectera que tout ce qui ne relève pas du programme nazi ne l'intéresse pas, et qu'il n'est pas important que son université fonctionne mal: "il faut avoir l'esprit décadent, dira-t-il, pour vouloir la science pour la science ou l'étude pour elle-même. En réalité, il est bon que les professeurs, les étudiants [...] soient encadrés et leurs activités soumises à des restrictions, en fonction de la primauté des objectifs définis par le parti."
Contrairement aux deux arguments précédents qui faisaient l'objet d'une réfutation logique et empirique, VD ne cherche pas à montrer l'incohérence de cette argumentation. D'ailleurs, si l'on réfléchit bien, il n'y a là aucun argument, mais simplement une pétition de principe: il est bon que le monde soit soumis au parti. Vous observez que cela produit des aberrations pratiques (les universités sont mauvaises, les bâtiments ne tiennent pas debout?) peu importe, car il y a une chose qui tient, c'est le parti, et cela me satisfait.
Pour tout vous avouer, je vois mal la différence entre cette argument et celle qui faisait l'objet du point précédent (le 2ème argument du billet précédent). [Petit rappel: VD notait que l'argument de la relativité des fins politiques semblait d'une part empêcher toute défense rationnelle d'un régime, d'autre part, s'effondrer face à la réalité ("Notre idéologue dira-t-il que ses soldats sont les meilleurs d'après sa "table des valeurs", même s'ils ne gagnent pas les batailles?")]. Mais ici, me semble-t-il, ce qui change c'est surtout la façon dont VD répond à cet absence d'argument: il avance que le recteur-militant totalitaire commet une erreur sur le statut du politique. Citant Aristote, VD avance que le politique est un art "architectonique" au sens où il règle la place que l'on peut accorder à différents problèmes, mais non ces problèmes eux-mêmes. "Une médecine qui n'est pas gouvernée par la téléologie de la santé n'est pas une médecine. Ce n'est pas la politique qui va dire au médecin qui est guéri ou qui est mal portant. [...] En revanche, il appartient au Politique de dire combien nous devons avoir de médecins, et quelle place doit avoir l'exercice de cet art dans la cité, par exemple dans son budget."
Cette réponse m'avait semblé insatisfaisante pour plusieurs raisons. Et puis, surprise, je découvre un post de Guillaume qui me semble présenter un cas, cette fois non plus imaginaire, mais tout à fait réel dans lequel il est possible de mobiliser un tel raisonnement.
Venons en d'abord aux critiques. L'une me semble très bien formulée par Anthony de Jasay: "cet argument ne tient pas. Le politique ne saurait impunément décider du nombre de médecins (à moins que paresseusement nous prenions "décider" pour un équivalent de "répondre aux besoins médicaux") sans "décider" aussi du nombre de patients et de la gravité de leur mal." Et effectivement, quand je lisais le texte de Descombes, il me semblait que dire que la politique est une activité "architectonique" me semblait finalement peu clair, très en deçà ou très en dessous de ce qu'est la politique telle que nous la connaissons: dirions nous, en regardant nos assemblées voter une réforme pénale, établir les dates de la chasse ou interdire l'installation de certains magasins à certains lieux que leur activité est "architectonique"? Pourtant, on voit bien que ces trois exemples ont une dimension politique en un sens qui me semble assez partagé: il existe des désaccords dans notre société sur ce que doivent être nos peines, et il faut bien qu'une instance produise des peines malgré (ou grâce à) ce désaccord.
Comment la politique pourrait-elle produire des réformes pénales sans partir d'une discussions sur ce que sont ces activités même? je n'arrives pas à comprendre le raisonnement de Descombes sur ce point.
Pourtant, en lisant le poste de Guillaume, il m'a semblé qu'il n'était pas possible de percevoir immédiatement que l'exemple donné relevait précisément de ce problème. Il reste donc à essayer de comprendre pourquoi, d'un côté, il me semble difficile de concevoir la politique comme une "architectonique", comme quelque chose qui serait complètement extérieur aux activités elles-mêmes, mais également pourquoi, de l'autre côté, il apparaît évident que la mobilisation de critères politiques pour justifier le non recrutement d'un individu dans une université apparaît immédiatement comme une faute politique.
j'aurais tendance à essayer de présenter les choses de la façon suivante: la politique n'est pas une activité englobante, une activité qui attribue la place de chaque problème. C'est une activité interne à tout problème, mais cela n'est qu'une partie du problème. De sorte que si le militant politique a le droit de regard sur tout problème, il doit déployer son activité politique dans un cadre qui est celui de l'activité elle-même. Au fond, je lis VD de cette façon: les problèmes ont des solutions pratiques que peuvent connaître ceux qui ont à les traiter dans la vie ordianire (comme les médecins qui traitent les malades) et les politiques doivent simplement décider de l'importance de ces problèmes au regard des ressources dont ils disposent. Si cela peut-être vrai dans certains cas, il me semble surtout que dans une société, les intérêts des uns ne sont pas ceux des autres, et que c'est là ce que le politique prend en charge. Mais il faut bien aller voir à l'intérieur de chaque activité pour se rendre compte de ce que sont les intérêts en présence.
Si nous reprenons l'exemple de l'université, il est évident que l'université est le lieu de rencontre de nombreux intérêts divergents: ceux des enseignants et ceux des élèves, ceux des professionnels et administrations qui peuvent recruter les étudiants, ceux qui ne sont pas allés à l'université et ne voient pas pourquoi il faudrait tant dépenser pour les autres, etc. etc. La façon dont VD pose les fins de l'université, pourrait-on lui reprocher, semble un peu abstraite, voir typique de sa propre position.
Mais donc, cela signifie-t-il que nous pouvons laisser le militant prétendre régler l'université selon son intérêt propre? oui et non. Cela signifie, contrairement à ce que j'ai écrit sur le billet de Guillaume, qu'il faut bien reconnaître que recruter des enseignants en fonction du risque de désordre qu'ils peuvent créer ne peut être considéré comme indigne. Par contre, ce qui paraît choquant dans cet exercice, c'est que cette considération se fasse au dépend de toute autre. Autrement dit, il semble innacceptable que le meilleur candidat sur tous les autres points soit écarté en raison d'un risque politique mineur.
Ce qui fait le militant totalitaire, ce n'est pas que sa vision politique s'incruste partout, c'est bien qu'il soit insensible à tout autre argument et, de ce fait, à tout compromis.
J'ai l'impression d'avoir écrit un gros pâté pour, au bout du compte, réinventer le fil à couper le beurre. Mais au moins me suis-je clarifié les idées sur cette question. Et puis, on ne sait pas toujours, quand on commence un texte, où il nous mènera. Et il est de toute façon probable que j'y revienne.
Mais je vais tenter, provisoirement, de terminer le point esquissé, quitte à y revenir plus tard. Notamment parce que j'aimerai écrire quelques billets plus "concrets" et que je me sens obligé de finir ce que j'ai commencé.
Nous en étions donc à la troisième forme de justification que le recteur nazi peut produire. J'avoue tout de suite que j'ai du mal à voir la cohérence dans la typologie de VD. En somme, après avoir invalidé les deux formes de justifications traîtées dans le précédent billet, Descombes nous dit qu'un nazi raisonneur, et c'est là probablement "le raisonnement même du militant totalitaire" objectera que tout ce qui ne relève pas du programme nazi ne l'intéresse pas, et qu'il n'est pas important que son université fonctionne mal: "il faut avoir l'esprit décadent, dira-t-il, pour vouloir la science pour la science ou l'étude pour elle-même. En réalité, il est bon que les professeurs, les étudiants [...] soient encadrés et leurs activités soumises à des restrictions, en fonction de la primauté des objectifs définis par le parti."
Contrairement aux deux arguments précédents qui faisaient l'objet d'une réfutation logique et empirique, VD ne cherche pas à montrer l'incohérence de cette argumentation. D'ailleurs, si l'on réfléchit bien, il n'y a là aucun argument, mais simplement une pétition de principe: il est bon que le monde soit soumis au parti. Vous observez que cela produit des aberrations pratiques (les universités sont mauvaises, les bâtiments ne tiennent pas debout?) peu importe, car il y a une chose qui tient, c'est le parti, et cela me satisfait.
Pour tout vous avouer, je vois mal la différence entre cette argument et celle qui faisait l'objet du point précédent (le 2ème argument du billet précédent). [Petit rappel: VD notait que l'argument de la relativité des fins politiques semblait d'une part empêcher toute défense rationnelle d'un régime, d'autre part, s'effondrer face à la réalité ("Notre idéologue dira-t-il que ses soldats sont les meilleurs d'après sa "table des valeurs", même s'ils ne gagnent pas les batailles?")]. Mais ici, me semble-t-il, ce qui change c'est surtout la façon dont VD répond à cet absence d'argument: il avance que le recteur-militant totalitaire commet une erreur sur le statut du politique. Citant Aristote, VD avance que le politique est un art "architectonique" au sens où il règle la place que l'on peut accorder à différents problèmes, mais non ces problèmes eux-mêmes. "Une médecine qui n'est pas gouvernée par la téléologie de la santé n'est pas une médecine. Ce n'est pas la politique qui va dire au médecin qui est guéri ou qui est mal portant. [...] En revanche, il appartient au Politique de dire combien nous devons avoir de médecins, et quelle place doit avoir l'exercice de cet art dans la cité, par exemple dans son budget."
Cette réponse m'avait semblé insatisfaisante pour plusieurs raisons. Et puis, surprise, je découvre un post de Guillaume qui me semble présenter un cas, cette fois non plus imaginaire, mais tout à fait réel dans lequel il est possible de mobiliser un tel raisonnement.
Venons en d'abord aux critiques. L'une me semble très bien formulée par Anthony de Jasay: "cet argument ne tient pas. Le politique ne saurait impunément décider du nombre de médecins (à moins que paresseusement nous prenions "décider" pour un équivalent de "répondre aux besoins médicaux") sans "décider" aussi du nombre de patients et de la gravité de leur mal." Et effectivement, quand je lisais le texte de Descombes, il me semblait que dire que la politique est une activité "architectonique" me semblait finalement peu clair, très en deçà ou très en dessous de ce qu'est la politique telle que nous la connaissons: dirions nous, en regardant nos assemblées voter une réforme pénale, établir les dates de la chasse ou interdire l'installation de certains magasins à certains lieux que leur activité est "architectonique"? Pourtant, on voit bien que ces trois exemples ont une dimension politique en un sens qui me semble assez partagé: il existe des désaccords dans notre société sur ce que doivent être nos peines, et il faut bien qu'une instance produise des peines malgré (ou grâce à) ce désaccord.
Comment la politique pourrait-elle produire des réformes pénales sans partir d'une discussions sur ce que sont ces activités même? je n'arrives pas à comprendre le raisonnement de Descombes sur ce point.
Pourtant, en lisant le poste de Guillaume, il m'a semblé qu'il n'était pas possible de percevoir immédiatement que l'exemple donné relevait précisément de ce problème. Il reste donc à essayer de comprendre pourquoi, d'un côté, il me semble difficile de concevoir la politique comme une "architectonique", comme quelque chose qui serait complètement extérieur aux activités elles-mêmes, mais également pourquoi, de l'autre côté, il apparaît évident que la mobilisation de critères politiques pour justifier le non recrutement d'un individu dans une université apparaît immédiatement comme une faute politique.
j'aurais tendance à essayer de présenter les choses de la façon suivante: la politique n'est pas une activité englobante, une activité qui attribue la place de chaque problème. C'est une activité interne à tout problème, mais cela n'est qu'une partie du problème. De sorte que si le militant politique a le droit de regard sur tout problème, il doit déployer son activité politique dans un cadre qui est celui de l'activité elle-même. Au fond, je lis VD de cette façon: les problèmes ont des solutions pratiques que peuvent connaître ceux qui ont à les traiter dans la vie ordianire (comme les médecins qui traitent les malades) et les politiques doivent simplement décider de l'importance de ces problèmes au regard des ressources dont ils disposent. Si cela peut-être vrai dans certains cas, il me semble surtout que dans une société, les intérêts des uns ne sont pas ceux des autres, et que c'est là ce que le politique prend en charge. Mais il faut bien aller voir à l'intérieur de chaque activité pour se rendre compte de ce que sont les intérêts en présence.
Si nous reprenons l'exemple de l'université, il est évident que l'université est le lieu de rencontre de nombreux intérêts divergents: ceux des enseignants et ceux des élèves, ceux des professionnels et administrations qui peuvent recruter les étudiants, ceux qui ne sont pas allés à l'université et ne voient pas pourquoi il faudrait tant dépenser pour les autres, etc. etc. La façon dont VD pose les fins de l'université, pourrait-on lui reprocher, semble un peu abstraite, voir typique de sa propre position.
Mais donc, cela signifie-t-il que nous pouvons laisser le militant prétendre régler l'université selon son intérêt propre? oui et non. Cela signifie, contrairement à ce que j'ai écrit sur le billet de Guillaume, qu'il faut bien reconnaître que recruter des enseignants en fonction du risque de désordre qu'ils peuvent créer ne peut être considéré comme indigne. Par contre, ce qui paraît choquant dans cet exercice, c'est que cette considération se fasse au dépend de toute autre. Autrement dit, il semble innacceptable que le meilleur candidat sur tous les autres points soit écarté en raison d'un risque politique mineur.
Ce qui fait le militant totalitaire, ce n'est pas que sa vision politique s'incruste partout, c'est bien qu'il soit insensible à tout autre argument et, de ce fait, à tout compromis.
J'ai l'impression d'avoir écrit un gros pâté pour, au bout du compte, réinventer le fil à couper le beurre. Mais au moins me suis-je clarifié les idées sur cette question. Et puis, on ne sait pas toujours, quand on commence un texte, où il nous mènera. Et il est de toute façon probable que j'y revienne.