jeudi 5 juin 2008

Crime et originalité


Il y a quelques jours, nous sommes passés avec mon amie devant un institut pour sourd, près de chez mes parents. Cet institut acceuillant de jeunes sourds, il y a souvent, à l'arrêt de bus, de petits groupes de jeunes qui attendent le bus. On ne manque pas de reconnaître qu'ils sont sourds, puisqu'ils font de nombreux gestes et que certains poussent parfois des sortes de "cris" mal articulés. Mais ils sont habillés et se comportent comme des jeunes: jeans ou survets à la mode, "faux-usés", ils rigolent et se dragouillent en attendant le bus qui les amène au centre-ville.

En voyant cela, mon amie les a fixé pour me dire: "c'est incroyable en France comment les sourds sont habillés". Je lui demande pourquoi, "En Chine, ils sont habillés comme des fous. Ca, c'est vraiment une bonne chose" Comme quoi, il ne faut pas désespérer de l'occident...

Evidemment, nous savons tous que ce tableau idylique ne doit pas masquer les discriminations. Mais les discriminations, au moins, sont pensées comme telles, c'est à dire qu'elles ne sont pas justifiées et au contraire, elles "révoltent". Il est anormal de ne pas traîter le sourd comme un être normal.

Il y a longtemps, sur le blog de Pierre Haski, je m'étais opposé à quelqu'un qui soutenait que la criminalité était très faible en Chine. La culture chinoise, expliquait cette personne, implique un respect des bonnes manières et aboutit à ce que les normes soient généralement plus suivies que chez nous. Je goûte peu les hypothèses culturalistes. Les théories les plus courantes, qu'elles se fondent sur la rationalité des délinquants ou sur les inégalités, laissent peu de place à la culture. Et les explications des "expats", voir même des étudiants chinois en France, me semblent toujours manquer de recul au regard de leur propre situation sociale. Mais pourtant, un jour une personne m'a amené à douter de moi. Cette connaissance m'a raconté un de ses voyages en URSS il y a longtemps. "Au moins, on pouvait sortir tranquille" Je crois même qu'il m'a dit quelque chose comme "on se sentait en parfaite sécurité, complètement tranquille, même en plein milieu de la nuit." Le propos laisse songeur.

Ces deux situations m'ont rappelé un texte assez connu de Durkheim:

Le crime est donc nécessaire : il est lié aux conditions fondamentales de toute vie sociale [...]
Rien n'est bon indéfiniment et sans mesure. Il faut que l'autorité dont jouit la conscience morale ne soit pas excessive ; autrement, nul n'oserait y porter la main et elle se figerait trop facilement sous une forme immuable. Pour qu'elle puisse évoluer, il faut que l'originalité puisse se faire jour ; or pour que celle de l'idéaliste qui rêve de dépasser son siècle puisse se manifester, il faut que celle du criminel, qui est au-dessous de son temps, soit possible. L'une ne va pas sans l'autre.
Durkheim, "Le Crime, phénomène normal"


L'intuition géniale de Durkheim, c'est d'avoir senti que les écarts à la norme ne pouvaient a priori être évalués positivement ou négativement. Au fond, la tolérance est insensible à la morale: elle est tolérance à l'écart, que cet écart soit bon ou mauvais.

Cela me rappelle également ce que m'a souvent dit mon amie: les chinois sont bons pour copier, pas pour inventer. Certes, je n'y crois pas vraiment, s'il s'agit de parler des individus et de leurs capacités cognitives. Mais on peut supposer là encore qu'une société qui est plus attentive à l'ordre public, aux bons comportements, soit finalement peu capable de supporter les innovations même quand celles-ci sont positives.

Et sans doute peut-on penser, puisque tout le monde nous dit que la Chine change, qu'elle s'ouvre, que les mentalités évoluent, que l'innovation y devient de plus en plus importante, désirée, souhaitée... sans doute peut-on penser que cette tolérance à l'innovation ira avec une tolérance aux déviances. Ainsi certaines déviances (la surdité, l'homosexualité, etc.) finiront-elles pas se faire accepter, ou se fondre dans le décor, tandis que d'autres (la délinquance, la violence) qui n'ont pas de contenu positivable, risquent de se développer.

Mais bon, n'oublions pas que “Prévoir est un art difficile, surtout quand la prévision porte sur l’avenir”

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