mardi 22 avril 2008

La leçon populiste

Dans sa conception classique la démocratie a une dimension éducative. Mais elle est une éducation par l'expérience. Pour Moses Finley ou Christopher Lasch, par exemple, la démocratie met les individus dans la situation d'un débat et les fait (du verbe faire) compétent (c'est un peu différent, pour ce que j'en comprends, chez Rancière, mais ça n'est pas radicalement différent).
Plusieurs blogs évoquent l'idée très intéressante qu'en laissant se déployer ces manifestations, le gouvernement a fait l'erreur de laisser une porte s'ouvrir. Afin de montrer le soutien populaire à sa cause, le gouvernement chinois aurait offert aux chinois une expérience démocratique. Cette expérience, acquise dans le soutien aux JO, pourrait se déployer ailleurs.

Car, la démocratie n'est pas simplement un meilleur régime parce qu'il égalise les conditions, mais surtout parce qu'il participe de l'amélioration des hommes. C'est en forgeant qu'on devient forgeront, c'est en discutant qu'on devient capable de prendre des décisions.

Un tel discours s'oppose évidemment à l'antienne sans cesse répétée par les chinois de la nécessité du PC car "la politique c'est compliqué", "la Chine est un grand Etat, on ne peut pas la gérer comme vos petits pays", etc. La Chine s'effondrerait si elle était laissée aux chinois, me répète-t-on sans cesse, car ils ne sont pas intelligents. Il est étonnant d'entendre cela sans cesse répété mais après tout, c'est là sans doute une démonstration de la force de la conception ancienne de la démocratie. [EDIT 24/04/08, passage pas clair du tout: en effet, on serait là dans une situation où les chinois se sentiraient incapables précisément parce qu'ils n'auraient pas l'occasion de faire l'expérience de leurs compétences, mais plus encore de les développer au travers d'une vie démocratique.]

Quand un européen explique à un chinois qu'en Chine, "on a pas de liberté", la discussion ne va rarement très loin. D'abord, il faut redire combien ce genre de discours me semble n'être qu'une fiction qu'on aime à se raconter pour se rassurer: il faut qu'il y ait des peuples sans droits pour que l'on puisse s'autocongratuler de nos droits.
Car la réponse des chinois me semble être celle-ci: je sors, je vois mes amis, je vais m'acheter des affaires, je suis libre.
En occident, la conception classique, ancienne, de la démocratie n'est plus trop à la mode. La démocratie est de plus en plus présenté comme le régime du pouvoir limité. La liberté devient le droit de ne pas affronter de problèmes dans sa vie ordinaire, le droit à la "sûreté". [EDIT 24/04/08, passage pas assez développé: dans un tel cadre, les occidentaux se trouvent incapables d'expliquer ce qui manque. Ils ont beau dire "tu ne peux pas dire ce que tu veux en Chine sur ton gouvernement", leur vie ne donne plus tellement l'exemple de ce que cela signifit. Un étudiant chinois peut passer plusieurs années en France sans avoir le sentiment qu'il y ait véritablement plus de liberté en France qu'en Chine. Non pas parce que cela n'est pas le cas, mais parce que la participation politique ne constitue plus un élément central dans nos vies ordinaires.]

Aujourd'hui, Sarkozy a envoyé un courrier à Jin Jing. Il salue son geste "héroïque". Quelques jours plus tôt, Sarkozy parlait d'un boycott des JO, après avoir vu des sondages allant dans ce sens. Si la démocratie est un régime éducatif, alors il faut reconnaître que la médiocrité de notre classe politique, et de notre président notamment, n'en témoigne pas vraiment. Les chinois y verront peut-être le fait qu'on peut faire plier un décideur politique en manifestant, quand l'expérience démocratique devrait être autre chose: non pas les incessantes fluctuations de discours inconsistants, tentant désespérément de suivre le courant des opinions, mais l'approfondissement de ses connaissances et de son jugement dans la confrontation aux autres et l'exercice de sa responsabilité.

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