lundi 28 avril 2008

S'agit-il d'un problème d'universalité?

Une très intéressante discussion a eu lieu sur un blog pour discuter de l'universalité des droits de l'Homme. Elle fait écho, notamment, à un texte publié par François Jullien.

Quelque soit l'intérêt intellectuel de tels billets, je crois qu'ils ne sont pas très pertinents pour juger de la question qui nous intéresse. En effet, dans aucune discussion avec des chinois je n'ai eu à discuter de l'universalité des droits de l'Homme. Voila typiquement une discussion d'intellectuels qui oublient le monde dont ils parlent. C'est je crois, un cas typiquement français: on aime en France les discussions sur "la culture", les analyses qui mobilisent du "symbolique", etc. Car, contrairement à l'intuition, ce n'est pas le débat intellectuel qui est difficile à avoir: ce sont bien les faits qui sont difficiles à collecter.

Dans la plupart de mes discussions avec des chinois, les problèmes étaient factuels:

Le Tibet appartient-il à la Chine? Depuis quand? Quel impact a eu la Chine sur le Tibet depuis la "libération"? Peut-on parler de colonisation?

Le développement du Tibet profite-t-il aux tibétains ou seulement aux chinois?

Le Dalaï Lama demande-t-il l'autonomie? A-t-il organisé les émeutes?

Y a-t-il des morts aux Tibet? La réaction du gouvernement est-elle la plus mesurée possible, ou y a-t-il plus d'une centaine de morts?

Les tibétains soutiennent-ils ces émeutes ou sont-elles le fait d'une minorité de terroriste?

Les tibétains se sentent-ils chinois? Sont-ils heureux des efforts que fait le PCC pour développer la Chine?

On peut continuer longtemps, mais la plupart de ces questions sont factuelles. Sans doute, la discussion sur l'histoire des relations Chine-Tibet n'est pas facile, et plaquer la notion de colonialisme n'est pas évidente (car elle a été forgée à partir de la notion d'Etat-Nation qui a effectivement une histoire marquée par l'Europe) néanmoins, cette discussion peut avoir lieu.

Sur le Tibet, nombre de faits nous permettraient de nous convaincre les uns les autres. Ce sont ces faits qui nous manquent. Et c'est là le premier tort du gouvernement chinois: contrôler l'accès à l'information.

Sur les droits de l'homme, la plupart des chinois avec qui j'ai parlé ne me disent d'ailleurs pas "les droits de l'homme, ça ne me parle pas" ou "les droits de l'homme, je suis contre", mais "les droits de l'homme, nous nous y intéresseront plus tard, c'est une idée qui ne peut émerger que dans un pays riche, pour l'instant nous nous enrichissons." ou encore "si en Chine, tous les gens qui ne sont pas compétents se mettent à revendiquer, la Chine s'effondrera, car c'est un trop grand pays qui n'est pas encore assez développé pour supporter les revendications." Ici, deux lectures sont possibles: les uns diront (Jullien) que les chinois montrent par là leur attachement à l'intégration plutôt qu'à l'individuation/émancipation. Mais il me semble que c'est tout à fait faux.
Il est tout à fait faux de réduire l'histoire européenne à la notion d'émancipation. D'une part, nombre d'auteurs ont pensé l'intégration (le paroxysme étant la pensée réactionnaire ou nationaliste de De Maistre à Barrès, par exemple, sans oublier tout ce qu'ont produit les romantiques allemands) mais surtout, en opposant radicalement, comme le fait Jullien ou mon interlocuteur chinois "émancipation" et "intégration", on oublie que les sociétés ont produit des compromis où ces deux notions sont en perpétuels balancement. En sociologie, l'œuvre de Durkheim est l'une des illustrations les plus fortes de cette idée. Et c'est bien le grand problème du XIXème siècle que de concilier ces deux notions.
Et là encore, c'est bien une question factuelle qui nous permet de répondre au problème posé: car toutes les organisations politiques que nous pouvons étudier nous montre que nulle part (en tout cas nulle part à ma connaissance) on a à choisir entre intégration et émancipation: les sociétés ne s'écroulent pas sous prétexte d'essayer de concilier ces deux notions. Les sociétés qui laissent une plus ou moins grande place à l'émancipation individuelle ne disparaissent pas: nous vivons dedans. C'est là un fait.
Sans doute, tout ne se réduit pas à une question de faits, mais je crois que la question de l'universalité des droits de l'homme est largement secondaire: quand nous pourrons avoir une meilleure connaissance d'un certain nombre de faits, nous pourrons savoir si cette question est pertinente ou non, et nous serons plus à même de trancher.

Personnellement, je dois rajouter que je suis plus attaché à la notion de démocratie qu'à celle de droit de l'homme. Et la démocratie, en tant que principe critique, répond pleinement à la définition de Jullien: elle est un universalisant plus qu'un universel, elle est un concept critique et non normatif (dire "nous vivons en démocratie" est un non sens, par contre nous pouvons toujours, ici ou là, nous appuyer sur la démocratie pour critiquer une situation problématique, en Chine ou en France).

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